Et pourtant, d’après les guides, en été les belles plages au sable doré sont envahies par le tourisme et les jolis villages fleuris sont surpeuplés… Et si vous consultez le Guide du Routard, il est déconseillé de partir en Grèce en août. Oubliez tout ça. Si vous rêvez de croisières tranquilles en voilier durant vos vacances d’été, de cuisine familiale dans les tavernes loin du bruit, de criques désertes abritées du vent, de jolis ports où vous pourrez acheter du poisson frais, si vous aimez naviguer par 20-25 noeuds de vent sous le soleil, entre des les distantes de quelques milles, les Cyclades sont faites pour vous.
En 2015, au sud de la mer Egée, les Cyclades seront, comme tous les ans les plus visitées des îles grecques (cinquante-six îles en tout) dont les plus connues sont Santorin, Mykonos,
Sifnos, Milos, Paros, Folegandros. En tout, une vingtaine d’îles qui sont habitées de longue date, le paradis de la plaisance. Pourtant, d’après Denis Kyriazis, Franco-Grec installé à Syros comme loueur de voiliers depuis vingt-cinq ans, il n’y a pas autant de voiliers qui naviguent qu’on peut le croire. Le meltem fait peur. Dans l’histoire grecque, les dieux sont peut-être intervenus dans la vie des marins car, vues du ciel, les Cyclades dessinent un cercle comme pour se protéger de ce vent dominant. Puis les habitants ont construit leurs villages aux maisons cubiques avec des rues en labyrinthes conçues pour dévier les vents.
Force 7, bien établi mais au portant
En mer, pas d’échappatoire, il faut affronter de face du force 7, mais les îles sont si proches les unes des autres que tout peut se faire au portant. Pour nous en rendre compte, nous avons rejoint la base de location de la société grecque Escale Yachting à Syros, l’île fétiche des Athéniens, moins connue en France mais dont le passé industriel et économique en a fait la capitale des Cyclades. Au port d’Ermoúpoli, nous avons retrouvé Jonathan, un Gib’Sea 126, reconditionné pour le charter et superbement entretenu. Il fait beau et le vent est doux mais un coup de vent du nord est prévu pour toute la semaine, idéal pour notre croisière. Notre skipper s’appelle Yann, formé aux Glénans, plus de dix ans de navigation dans les Cyclades. Son rôle :
faire participer aux manœuvres et proposer un programme hors des sentiers battus.
Nous faisons la connaissance du premier couple, des Rochelais qui arrivent, après cinq jours en mer, d’une ronde des îles et des criques sans un pet de vent. Nous les accompagnons jusqu’à Mykonos et ils ne vont pas être déçus. En attendant, après cette rencontre codifiée, la journée est consacrée à la belle ville de Ermoupoli.
Au matin, notre skipper, ayant pris un fichier sur Windfinder, nous présente la situation, l’inventaire du matériel de sécurité et son emplacement. Le départ est prévu pour 14 heures, le temps de préparer le bateau. Grand-voile lattée neuve, Volvo de 80 ch remotorisé, intérieur relooké. Il est temps pour nous de larguer – les amarres. Le vent du nord est toujours aussi fort dans le port mais notre destination nous fera faire du bon plein. Cap sur Nisos Rinia, une île rocheuse aride séparée de Délos par un étroit chenal. Avant de larguer les amarres, petit cours dans le carré du Gib’Sea.
Les néophytes du bord écoutent le maître pendant que le repas mijote dans la cuisine bien rangée. C’est parti.
Coup de vent – dès la sortie du port !
Grosses vagues croisées, étrave plongeante, les trois ris dans la grand-voile (quand même) et les cinq tours dans le génois à enrouleur n’empêchent pas le voilier de se faire rouler comme une cigarette dès la sortie du port. Nathalie se cale contre la cloison, la tête dans les bras pour se protéger des embruns et le regard plein d’inquiétude. Catherine se place sous le vent, blottie tel un chat, maintenant ravie de filer bon train à la voile, et Yann confie la barre à Charles qui se sent l’âme d’un héros grec sur la mer. Sans prévenir, quelques vaguelettes viennent arroser le pont et envahissent le bas de nos cirés. Belle sérénité à bord et grande confiance dans le professionnalisme du skipper. Le vent a encore augmenté, devenant presque assommant.
De temps en temps, on ne sait pas pourquoi, des trous d’air nous secouent comme dans un shaker. Heureusement, la terre se rapproche et les récifs sont tout proches. Quelques dauphins viennent à notre rencontre, instants toujours magiques. Après quelques heures de navigation et une manœuvre de génois un peu rock’n’roll, premier mouillage dans l’ultime beauté de la baie d’Ormos Skhinou sur Rhinia, une petite île désertique proche de Délos.
Le skipper qui connait le coin comme sa poche, prend les commandes pour éviter soigneusement les roches émergeant ou submergés impossibles à voir sur une carte. Et là, c’est la magie du mouillage, à l’abri du vent qui ne nous atteint plus. On s’ancre par 5 mètres de fond, au calme, juste devant une ferme, un tracteur et un troupeau de vaches au creux d’un magnifique paradis de verdure. Notre bateau s’immobilise sur une eau bleue transparente et nos 60 mètres de chaîne nous assurent une bonne protection pour la nuit. Dans cette baie enchantée qu’on ne se lasse pas de regarder, on oublie tout, même le vent qui nous épargne, enfin (ça donne envie de s’y poser pour toujours). On ne mettra pas l’annexe à l’eau pour le barbecue sur la plage mais, la fatigue prenant le dessus, la vie en communauté, les fous rires, la bonne odeur du bon petit plat sont autant de motifs pour rester ensemble. On discute de mille choses, des gens, de l’histoire, de gastronomie, avant de reprendre, le lendemain, la prochaine escale : Délos.
Vers l’île de Délos, la plus petite des Cyclades, basse et aride, là où Apollon le dieu solaire et sa soeur Artémis sont nés, juste en face de Mykonos, le vent frôle les 35 noeuds et nous filons sous GV seule en abattant entre deux belles roches plantées dans le détroit. Très vite, on atteint un beau mouillage face à cette ancienne cité religieuse abandonnée en l’état. Un lieu sacré du 1* millénaire dont la visite du site archéologique (cinq heures maximum) n’est possible que le jour.
On traverse un dédale de fouilles qui furent menées par l’École française d’archéologie. On peut voir l’emplacement du port sacré, l’ancien théâtre, les villas hellénistiques, les mosaïques en l’état sur le sol, le musée avec ses sculptures et ses lions antiques, la maison de l’Hermès et grimpant sur le mont Cynthe, le point de vue sur les îles comme Naxos, reconnaissable à ses hautes montagnes, Tinos au sud, Mykonos bien sûr et tous les îlots qui bordent Délos.